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Afrique 50 (René Vautier)

 

Elève à l’Institut des Hautes études cinématographiques, René Vautier filme à la fin des années 40 des manifestations anti-racistes grâce à un brassard délivré par la police lui permettant de capturer des images du côté des uniformes.
Devant les abominations racistes proférées par « cette curieuse police parisienne qui avaient déjà envoyé des Juifs dans les camps de concentration » quatre ans auparavant, Vautier jette son brassard et passe de l’autre côté avant de se faire passer à tabac et détruire sa caméra par les policiers.
Devant les reproches émis par ses professeurs, le jeune réalisateur affirme que le plus important n’est pas de rapporter des images mais de « refléter les choses sous-jacentes à la réalité » filmée.

Afrique 50 commence comme un documentaire de " Connaissance du monde ", un de ces petits films qui tournaient dans les cinémas pour les enfants des écoles.
Un film ethnologique comme il y en avait tant à l’époque. La vie d’un village de Côte d’Ivoire est si folklorique : les femmes qui pilent le mil, les enfants qui jouent toute la journée et se baignent dans le fleuve Niger, les hommes qui réparent les filets de pêche.
Pourtant, jamais les élèves de la métropole ne l’ont vu.
Afrique 50 est un documentaire semi-clandestin, interdit d’écran, pour n’avoir pas répondu aux règles du décret de 1934, signé du ministre des Colonies de l’époque, Pierre Laval.
Tourné illégalement en 1949 par René Vautier parce qu’il n’avait pas l’autorisation du lieutenant colonel de la colonie, Afrique 50 avait été montré en 1996 au Centre Georges-Pompidou sous l’égide du ministère des Affaires étrangères et présenté par la CCAS au Festival de Cannes en 1998.
Mais il n’a jamais obtenu de visa.
La projection, jeudi 18 mai 2000, à la Cinémathèque française dans le cadre du festival " Jeune, dure et pure ! ", histoire du cinéma expérimental en France, était donc la troisième projection publique (la deuxième à Paris) d’un film qui légalement n’existe pas.

Dans un livre de mémoires paru en 1998 (1), René Vautier raconte l’extraordinaire saga d’Afrique 50, sa première ouvre.
Jeune diplômé de l’IDHEC, il part en Côte d’Ivoire tourner des images pour le compte de la Ligue de l’enseignement, destinées aux élèves des lycées et collèges de France, afin de montrer comment vivent les villageois d’Afrique occidentale française.
Dès son arrivée, Vautier tourne tout naturellement sa caméra 16 mm vers des galériens noirs qui manouvraient à bras les énormes vannes d’une écluse du barrage de Markala-Sansanding.
Il demande à un ingénieur - blanc, bien sûr ! - pourquoi le fonctionnement des vannes de ce barrage, qui fournissait de l’électricité dans toute la région, n’était pas électrifié.
Celui-ci répond en riant : les nègres coûtent moins cher ! Vautier s’insurge, les ennuis commencent.
Il rompt immédiatement avec la délégation menée par les représentants du gouverneur et part seul tourner le film qu’on lui avait commandé - " la vie du paysannat africain " - au nez et à la barbe de la gendarmerie coloniale qui le recherche dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Au terme d’un périple de plusieurs mois, il réussira, grâce à la solidarité d’Africains (dont quelques-uns sont devenus ensuite de prestigieux dirigeants de l’indépendance, Houphouët-Boigny, N’Krumah, Sékou Touré…) et, en France, de pêcheurs bretons, de juges et de douaniers, à rapatrier les bobines du film.
C’est enfin par un subterfuge à la caserne de gendarmerie de Reuilly à Paris qu’il sauvegardera un quart des pellicules.
En 1951, Vautier est condamné à un an de prison par le tribunal de Bobo-Dioulasso, sous le motif de treize inculpations.

Afrique 50, que l’on a pu voir à la cinémathèque, est ce qui reste de cette épopée. Un documentaire de vingt minutes, considéré comme le premier film anticolonialiste, une charge virulente contre le système colonial français d’après-guerre.
Car les images rassurantes du début du film sont rapidement traduites par un commentaire grave.
Les enfants jouent, ils travaillent aussi, ils ne vont jamais à l’école. La tranquille apparence du village cache la misère.
Ce village a encore la chance d’être en paix. Brusquement, nous voilà derrière le décor, les images alors dénoncent.
On voit les ruines, les taches de sang sur les murs, les arrestations, la prison.
Ici, une femme enceinte a été tuée, un bébé de sept mois exécuté d’une balle dans la tête, le village pillé, puis brûlé au cours d’un raid opéré le 27 février 1949 par un commando en uniforme français pour obliger les Ivoiriens à payer des impôts en espèces.
C’était, dit Vautier, des " villages-Oradour " au sein de la République française.
Il s’agit des premières opérations de répression du mouvement de libération africaine.
La France alors défend son empire en Indochine, et l’Algérie commence à devenir ingouvernable.

Le document sauvé par le réalisateur sera évidemment interdit sur le territoire français.
Plusieurs copies seront pourtant réalisées à l’intention de mouvements de jeunesse qui les diffuseront lors de réunions ou de meetings.
Mais dépourvu de visa, il ne sera jamais montré dans une salle de cinéma.
Afrique 50 est un des rares témoignages cinématographiques de la violence du système colonial français en Afrique.
Sa résurrection un demi-siècle plus tard (comme celle du film de Paul Carpita, Sur les quais, il y a quelques années) intervient dans une nation en proie au doute sur son avenir, qui se penche timidement sur son passé.
René Vautier a eu la surprise le 26 avril 1996 de recevoir une copie d’Afrique 50 de la part… du ministère des Affaires étrangères !
Dans une lettre signée d’une responsable de la Direction de l’action audiovisuelle extérieure, il était notifié qu’" Afrique 50 représentait, avec Les statues meurent aussi et Kashima Paradise, un cinéma documentaire courageux et nécessaire. "
La lettre ajoutait : " Si, en effet, comme vous nous l’avez parfois reproché, Afrique 50 n’était pas inscrit au catalogue du ministère des Affaires étrangères, il a cependant toujours été présenté et cela dans plus de cinquante pays. "
Une commission du ministère avait décidé que la projection du film " peut être utile au prestige de la République française dans la mesure où il démontre qu’il existait en France, dès 1950, un sentiment anticolonialiste prononcé " (sic). Rayonnant à l’étranger, semi-clandestin en France.